François
Burgun
Sober
Réalisé en 2019 dans la résidence d’artistes de 2fik à Montréal.
Cette série a pour point de départ les pièces que les alcooliques anonymes reçoivent pour ponctuer leurs processus de désintoxication face à l’alcool, leur combat au quotidien sur la maladie.
Chaque pièce témoigne des efforts de sobriété.
C’est un système de récompenses mis en place par les alcooliques anonymes pour eux-mêmes, et dont ils peuvent juger mieux que quiconque la valeur des efforts.
S’il peut identifier la pièce comme symbole d’un effort, le non-alcoolique peut participer aux encouragements, mais la nature de l’effort lui restera étrangère, seul quelqu’un de concerné, un autre alcoolique anonyme, peut reconnaitre les douleurs de l’effort et le coût de cette sobriété dont le triomphe n’est jamais garanti.
Dans la série Sober, j’ai détourné les inscriptions figurant sur la face d’une pièce de sobriété pour tenter d’atteindre les spectateurs dans leur conscience collective.
En transformant le message j’inverse la charge symbolique de la pièce, et j’interpelle le spectateur dans son rapport émotionnel au texte.
On se place dans une perspective étrange où la pièce récompense pour sa « sobriété » l’auteur d’un acte inacceptable (de misogynie, d’homophobie, de racisme, de pédophilie, de mutilation…).
Destinée à révéler la victoire temporaire d’une personne contre son addiction, cette satyre d’un système de récompense témoigne en creux, pour ceux qui ont temporairement été épargnés, de l’inégalité, de l’irrespect, de l’abjecte et de l’horreur.
Ces pièces nous renvoient à la précaire situation de ceux qui souffrent et disparaissent car ils sont les victimes de la stupidité, de l’obscurantisme, de la prédation sexuelle, ou de la haine.
Or, si ces pièces témoignent que des actes répréhensibles n’ont pas été commis pendant la durée affichée, pouvons-nous nous réjouir de ce répit accordé aux victimes ?
Si l’idée de sobriété temporaire du porteur de la pièce induit un répit pour sa victime, cette pièce représente donc une victoire précaire sur l’horreur infligée aux innocents.
Le spectateur se retrouve dans la position absurde de reconnaitre et d’encourager la sobriété du porteur de la pièce, tout en ayant conscience de l’impermanence de cette situation et du danger potentiel qu’il représente.
Dans nos aspirations d’un monde meilleur, d’une société plus égalitaire, pouvons-nous poser un regard lucide sur certains fonctionnements sociaux qui invisibilisent, maintiennent, encouragent ces travers inacceptables.